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Amours rustiques de Perrot et Jeanneton

Claude Gauchet

 

 

Perrot et Jeanneton étaient sis à l'ombrage
D'un chêne bien muni de gland et de feuillage,
Tandis que, ça et là, leur bétail gracelet
Tondait des prés riants le regain nouvellet,
Quand Perrot, agité d'amoureuses secousses,
Baisait de Jeanneton les belles lèvres douces,
Lui disant : "Jeanneton, mon coeur, mon amitié,
Ne veux-tu point avoir de moi quelque pitié ?
Ma belle Jeanneton, ne me sois point farouche ;
Permet que sur ce pré doucement je te couche :
Tes baisers m'ont si fort allumé de l'amour
Qu'il me faudra mourir, si je passe ce jour,
Ce jour non seulemnt, mais cette heure coulante,
Si, couché sur ton sein, mon ardeur je n'allente. (1)
Je n'ai nerf dessus moi, ni veine, ni tendon,
Que ton oeil n'ait rempli du feu de Cupidon.
Je suis un Mongibel, un Vézuve, un Lipare
Qui brûle incessamment pour ta beauté si rare ;
Mes pleurs ne peuvent rien contre mon feu trop vif :
Plus je pleure dessus, et plus se rend actif,
Semblable à celui-là qui flambe en la fournaise
D'un nerveux Maréchal, qui d'autant moins appaise
Si violente ardeur qu'on lui jette de l'eau,
Emblant (2) à son contraire un pouvoir tout nouveau.
Rien ne peut amortir cette amoureuse flamme
Qui brûle incessamment et mon coeur et mon âme,
Qu'un doux recollement, qu'un plaisir mutuel
Pris réciproquement en l'amoureux duel.
Donc, ma Nymphe aux yeux doux, si tu as quelque envie
D'allonger à Perrot les trames de la vie,
Venons à ce duel sans tarder plus longtemps :
Les duels amoureux ne sont pas que passe-temps.

(1) ralentir
(2) enlever avec violence

Jeanneton :
- Perrot, je t'aime tant, que si la Parque dure
Te tuait pour le mal qu'en aimant tu endures,
Je mourrais à l'instant pour te suivre là-bas,
Car de vivre sans toi Jeanneton ne peut pas.
L'amour, et la pitié me forcent de te plaire,
Mais la loi de l'honneur me défend le contraire.
Tu as deux champions qui combattent pour toi,
Et je n'ai que l'honneur qui combatte pour moi :
Pourrais-je résister, n'étant favorisée
Que de la loi d'honneur qui est tant méprisée ?
D'entreprendre seulette un combat contre deux
Ce serait un danger pour moi trop hazardeux.
Mais changeons de propos, et m'apprends, je te prie,
Cet amoureux duel sans nulle piperie,
Car de tromper celui qui ne songe en nul mal,
C'est être plus méchant qu'un sauvage animal.

Ha ! mon dieu, que fais-tu ? Quoi, Perrot, tu me trousses ?

P.- Jeanneton, mon amour, de ce ne te courouce.
J.- Ote ta main de là et me laisse en repos !
P.- Jamais un brave chien n'abandonne son os.
J.- Est-ce là le duel que tu me veux apprendre ?
P.- Oui, ce l'est, Jeanneton, et pense à te défendre.
J.- Je ne saurais m'aider étant ainsi sous toi.
P.- Tu es, de la façon, bien plus forte que moi :
    On dit communement que de femme couchée,
    Ou entre les linceux, ou dessus la jonchée,
    Et que d'un tronc de bois élevé tout debout
    On n'en peut jamais voir ni la fin ni le bout.
J.- Que sentai-je ! ô bon Dieu ! Hé ! Perrot, je me pâme !
P.- Je m'en vois, en trois coup, te donner une autre âme.
J.- Ha ! quelle âme, Perrot, r'animes-tu ainsi ?
P.- Si je t'ai fait du mal, je t'en requiers merci.
J.- Tu ne m'as pas fait mal, je me plains de ta ruse.
P.- Toute offense en amour facilement s'excuse.
J.- Si j'ai donc offencé en t'aimant, c'est tout un.
P.- Oui, on ne t'en peut donner reproche aucun.
J.- S'il est ainsi, Perrot, recommence la fête.
P.- Je le veux, Jeanneton.

J.- Mais non, Perrot, arrête !
    J'entends je ne sais quoi derrière ces buissons.

P.- Hé ! Dieu, ne vois tu pas que ce sont deux Pinçons,
    Qui, forcenés d'amour, suivent par ces ramées
    D'un vol enterrompu leurs dames emplumées ?
J.- Hé ! bon Dieu, je me meurs !

P.- Ha ! je me meurs aussi !

J.- Qu'on mourait doucement si on mourait ainsi !
    De telle mort, jamais je ne serais saoullée !
P.- Je te veux donc encore tremper une éculée.
J.- Courage, mon Perrot !

P.- Courage, Jeanneton !

J.- Tiens, pour te mettre en goût, baise moi le teton!
P.- A l'homme d'appétit, il ne faut point de sauce.
J.- Le généreux cheval ne devient jamais rosse.
P.- Penses-tu qu'en ce jeu mes membres soit lassés ?
J.- Fais le donc jusqu'à tant que je te dis assez.
P.- Comment le diras-tu, quand tu perds la parole,
    Lorsque dans ta moitié ma moitié je recolle ?
    Plutôt le gai printemps se soulerait de fleurs,
    L'hiver de ses frimas, l'été de ses chaleurs
    Qu'une femme d'amour: Jeanneton, je te prie,
    A quelque temps d'ici remettons la partie."

Ainsi, ces deux amants se levèrent de là,
Et chacun d'eux, content, au logis s'en alla.

 

 

cité in Le cabinet satyrique (1618) - réedité par Fleuret & Perceau (Ed. Librairie du Bon vieux temps, 1924, Vol 1, p. 211 à 215)