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Ce furent d'abord, Madame, vos yeux ; fermons la fenètre, voulez-vous, nous serons bien mieux pour causer. Je ne sais pas pourquoi nous avons un hiver si triste. Ce furent d'abord, Madame, vos yeux. — Mais, si peu, vos yeux. — Des lanternes rouges d'omnibus passent sur le boulevard.

 

Puis, ce fut ta chair, mais toute ta chair. Et quand mes caresses te touchèrent, il me sembla sculpter dans l'or malléable de tes formes une statue de la joie. — Puis, ce fut ta chair, mais si véritablement ta chair, — que tous les vieillards les yeux s'en bouchèrent.

 

Puis, ce fut ton cœur, mais, si peu, ton cœur ! Ton cœur est comme un grand théâtre, avec des musiques, du rouge et des flambeaux. — Et des femmes disent avec de beaux gestes de beaux vers sans âme, et des amoureux sont au balcon, ainsi que d'autres dames, toutes ces dames au balcon ! Ma mélancolie a noué son masque, et des violons chantent l'air moqueur : puis, ce fut ton cœur, mais, si peu, ton cœur.

in Poèmes en Prose (Ed. Léon Vanier, 1898)

cité in Eros émerveillé (Ed. Gallimard, 2012) - p. 192