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À Fernand Icres


Rien n'était. Le Néant s'étalait dans la nuit.
Nul frisson n'annonçait un monde qui commence.
Sans forme, sans couleur, sans mouvement, sans bruit,
Les germes confondus flottaient dans l'ombre immense.

(...)

Soudain, sous l'oeil de Dieu qui regardait, sans but,
Frémit une lueur vague de crépuscule.
L'atome vit l'atome : il bougeat. L'amour fut ;
Et du premier Coït naquit la molécule.

Or l'Esprit, stupéfait de ces accouplements
Qui grouillaient dans l'abîme insondé du désordre,
Vit, dans la profondeur des nouveaux firmaments,
D'infimes embryons se chercher et se tordre.

Pleins de lenteur pénible et d'efforts caressants,
Les corps erraient, tournaient et s'accrochaient, sans nombre ;
L'amour inespéré subtilisait leurs sens ;
La lumière naissait des frottements de l'ombre.

Et les astres germaient. O splendeur ! O matins !
Chaudes affinités des êtres et des formes !
Les soleils s'envolaient sur les orbes lointains,
Entraînant par troupeaux les planètes énormes.

Des feux tourbillonnants fendaient l'immensité,
Et les sphères en rut roulaient leurs masses rondes ;
Leurs flancs brûlés d'amour et de fécondité
Crachaient à pleins volcans le sperme ardant des mondes.

Puis les éléments lourds s'ordonnaient, divisés :
Les terres s'habillaient de roches et de plantes ;
L'air tiède enveloppait les globes de baisers,
Et les mers aux flots bleus chantaient leurs hymnes lentes.

C'est alors, qu'au milieu du monde épais et brut,
Debout, fier, et criant l'éternelle victoire,
Chef-d'oeuvre de l'amour, l'Être Vivant parut !
- Et Dieu sentit l'horreur d'être seul dans sa gloire.
Extrait,  in La Légende des sexes - Poèmes hystériques (1883)