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La chambre était haute et profonde
l'horloge respirait entre les chandeliers
minuit par le miroir glissa comme une loutre
et du jardin venus les génies de la brise réveillèrent
dans la chaise la conscience du merisier

rappelle-toi
tu dansais pour moi
dans l'agrément du gazouillis des rondes
une soeur à chaque main
le cornemuseux historiait nos enfances

tu marchais en sabots sur un ciel
constellé de marguerites naines
un chiffon de soie comme un fin nuage à ton cou

quelquefois
levant le bras tenant une rose de France
altesse toute droite au milieu de tes demoiselles
qui faisaient révérence
tu souriais à un arbre choisi sur l'horizon

souviens-toi
quand la porte s'ouvrit au plus beau jour de mai
une épée de lumière fendit ta robe
ô splendide pudeur l'instant d'une statue
poussée par le désir tu avanças légère
sous les ombres losangées de la treille
tu éclairas ton épaule au lilas blanc de la tonnelle
et tu passas dans les méandres de mon sang
tel un frisson reptile

souviens-toi
l'astre de tes doigts me guidait à travers ta nuit
un cygne au bec entrouvert se lustrait à ta chevelure
je lisais sur tes seins
le jeu des argenteries de la roue du moulin
tes soupirs se coupaient de syllabes sauvages
nos gestes retrouvaient d'immémoriales caresses
puis une longue laitance frangeait l'aube
l'insecte aux élytres d'or s'émancipait des bras du laurier-tin
et par tout le pays c'était
une gloire d'aloès de tamaris et de girofliers

souviens-toi
du vol voluptueux de tes sourcils
aux heures de la sieste
les jalousies baissées
on se donnait un firmament
dans l'oreiller ta nuque laissait la forme d'un nid
un oiseu transparent y couvait les enfants de tes rêves

je me souviens d'une nuit celte
près de touffes d'oyats

les armées avançaient en dormant vers la mer
un roulement de coeurs prévenait les rochers
des éclairs de chaleur bombardaient en sourdine
la poésie livrait bataille à l'infini

un coq chanta
et les blés apparurent
blessés de coquelicots

souviens-toi
nous montions à l'assaut de nos âmes
guerre délicieuse guerre amoureuse
ton visage et mon visage dans un brasier de roses
nos promesses tremblaient du délire des flammes

notre ange avait deux corps
© Henri Pichette
issu d'une série de textes intitulée Aux marches du pays de Folie  -  in Revue de poésie La Délirante - n°7 automne 1979 - p. 39-41