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La puce de Madame DesRoches

Etienne Pasquier

Puce qui te viens percher
Dessus cette tendre chair
Au milieu des deux mamelles
De la plus belle des belles
Qui la pique qui la point
Qui la mords à ses bons points
Qui t'énivrant sous sons voile,
Du sang, ainsi du Nectar d'elle,
Chancelle, et fait ma maint sauts
Du haut en bas, puis en haut :
Ô que je porte d'envie
A l'heur fatal de ta vie !

Ainsi que dans le pré
D'un vert émail diapré,
On voit que la blanche Avette
Sur les belles fleurs volette,
Pillant la manne du ciel,
Dont elle forme son miel :
Ainsi petit Pucette,
Ainsi Puce Pucelette,
Tu volettes à tâton
Sur l'un et l'autre teton,
Puis tout à coup te recelles
Sous l'abri de ses aisselles :
Or' penchée sur son flanc,
Humes à longs traits son sang,
Or' ayant pris ta pâture,
Tu t'en viens à l'aventure
Soudain auprès héberger
Au milieu d'un beau verger,
Ainsi d'un Paradis terrestre,
D'un Paradis qui fait naître
Mille fleurs en mes esprits,
Dont elle emporte le prix,
Paradis qui me réveille
Lorsque plus elle sommeille :
Là, prenant ton doux ébat,
Tu lui livres un combat,
Combat qui aussi l'éveille
Lorsque plus elle sommeille :
Las ! voulut Dieu que pour moi
Elle fut en tel émoi,
Toi seule par ton approche
Fais émouvoir cette Roche, (1)
Que mes pleurs, ainsi mes ruisseaux,
Que mes soupirs à monceaux,
Quelque voeu que je remue,
N'ont jamais en elle émue.

Ha méchante ! bien je vois
Que j'ai ce malheur par toi ;
Car quand, folle, tu te joues
Maintenant dessus ses joues,
Puis par un nouveau dessein
Tu furettes en son sein,
Et que tu la tiens en transe,
Madame en toi seule pense,
Et lui ôtes le loisir
De soigner à son plaisir,
Ou cette mésaventure,
Pour laquelle tant j'endure.
Ce mal où je suis confiné,
Vient d'un astre infortuné,
Qui est entre toi et elle,
Entre la Puce et Pucelle :
Ayant par un même accord,
Toutes deux juré ma mort,
En toi seule elle se fie
Comme garde de sa vie :
Car si en faisant tes jeux
Tu la piques, et je veux
Te tuer fâcheuse Puce
Au lieu où ta fais tu musse, (2)
Elle craint, pour ne rien celer (3)
Que c'est la dépuceler
Et bannir à jamais d'elle
Ce cruel nom de Pucelle.
Ainsi par commun concours
Vous jouez en moi vos tours.
Et faut que pour un tel vice
Mon âme à jamais languisse.
Mais toi, Puce, cependant
Tu vas grasse, répandant
Dessus le ciel de Madame
Et de là tirant ton âme,
Tout autant que tu la poings
Autant tu lui fais de points,
Ainsi graves autant d'étoiles
En la plus belle des belles.

Je ne veux ni du Taureau
Ni du Cygne blanc oiseau,
Ni d'Amphytrion la forme,
Ni qu'en pluie on me transforme,
Puis que ma Dame se plaît
Sans plus de ce qu'il te plaît.
Plut or' à Dieu que je pusse
Seulement devenir Puce :
Tantôt je prendrais mon vol
Tout au plus beau de ton col,
Ou d'une douce rapine
Je sucerais ta poitrine :
Où lentement pas à pas :
Je me glisserois plus bas,
Et d'un muselin (4) folâtre
Je serais Puce idolâtre,
Pincetant je ne sais quoi
Que j'aime trop plus que moi :
Mais las malheureux Poète
Que faut-il que je souhaite ?
Cet échange affiert (5) à ceux
Qui font leur séjour aux cieux.

Et partant Puce, Pucette,
Je veux Puce pucelette,
Petite Puce je veux
Adresser vers toi mes voeux.
Si tu piques les plus belles,
Si tu as aussi des aîles,
Tout ainsi que Cupidon,
Je te requiers un seul don,
Pour la pauvre âme altérée :
Ô Puce ! ô ma Cythérée !
C'est que ma Dame par toi
Se puisse éveiller pour moi,
Que pour moi elle s'éveille ,
Et ait la Puce en l'oreille.


(1) Catherine Des Roches
(2)  où tu caches ce que tu fais
(3)  cacher
(4)  museau (argot de l'époque pour le gland)
(5)  convient

Cité in La Puce de Madame Desroches (Ed. D. Jouaust, 1868 - p. 14-17)

Du même auteur : La puce de Brison (extrait)