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Le Printemps rappelait les amoureux désirs,

Et brillait dans son Char poussé par les Zéphirs, 
Suivi d'un doux concert, et couronné de rose,
Il exhalait dans l'air les parfums qu'il compose,
Et toute la Nature en un riche appareil
Languissait doucement dans les bras du Sommeil,
Quand la bergère Iris en rêvant à sa peine,
D'une mourant voix près les bords de la Seine,
Exprima par ces mots le feu qui l'animait,
Et qu'elle sentait mieux qu'elle ne l'exprimait.
Noires Filles des Nuits, douces et chères ombres,
Couvrez bien mon ennui de votre obscurité,
La douleur que je sens redoute la clarté,
Et si je vous fais part de mes peines secrètes,
C'est parce qu'on sait bien que vous êtes discrètes.
Ecoutez donc mon mal et plaignez mon tourment,
Je le veux consulter avec vous seulement.
Une douce surprise, un désordre agréable,
Par une émotion qui n'est point exprimable,
Allume un feu secret dans le fond de mon coeur,
Qui le touche et l'agite, et s'en rend le vainqueur.
C'est là que triomphant de mon âme asservie,
Il unit sa chaleur à celle de ma vie,
Et que par un excès qui m'est délicieux,
Il produit la langueur qui paraît dans mes voeux :
Mais parmi ce torrent de tourment et de flamme,
Je ne sais quoi de doux se coule dans mon âme,
Je trouve tant d'appas dans mon propre malheur,
Que je ne puis juger si c'est joie ou douleur:
Hélas! je n'en sais rien, toutefois il me semble
Que ce pourrait bien être et l'un et l'autre ensemble;
Et tout ce que j'en sais, c'est que j'ai vu Tircis ;
Qu'avant que de le voir, j'avais moins de soucis,
Et que depuis ce jour, j'ai toujours eu dans l'âme
La peine, la douleur, la tristesse, et la flamme
Rien ne me divertit, je ne dors point la nuit,
J'aime la solitude, et le monde me nuit,
Je ne saurais penser qu'aux peines que j'endure,
Je prends même plaisir d'irriter ma blessure,
J'entretiens des pensers que je devrais bannir,
Je pousse des sanglots que je veux retenir;
Lorsque l'on parle à moi, je ne saurais rien dire,
Je rêve, je languis, je pleure, je soupire,
Au seul nom de Tircis je change de couleur,
Quand il est près de moi j'ai bien moins de douleur,
Sitôt qu'il est parti je ne suis plus la même.
D'où vient ce changement, n'est-ce point que je l'aime?
Ce Dieu que je fuyais a-t-il surpris mes sens
Et si ce n'est Amour, qu'est-ce donc que je sens
Voilà tous les tourments qu'on souffre en son empire,
Je le connaissais bien, mais je n'ôsais le dire,
Et mon coeur qui sentait ce beau feu s'élever,
Voulais bien le souffrir et non pas l'oublier
Il feignait d'ignorer le mal qui le possède,
De peur d'être obligé d'y chercher un remède,
Il fallait un secret du nom de son vainqueur,
De crainte d'alarmer la honte et la pudeur.
élégie II