Partager |
La Dauphine faisait son entrée à Paris
Tout le monde s'y porte, et tout est aux fenêtres,
De tout temps le Français idolâtra ses maîtres,
Et montra son amour par des jeux et des ris.

Ce jour, il arriva la plus plaisante histoire,
Que l'on a même assez de peine à croire,
Mais qui pourtant au nez de tout Paris eut lieu :
Amour partout se glisse et montre qu'il est dieu ;
Par la difficulté cet espiègle s'irrite,
Et c'est dans le danger qu'on juge son mérite.

Le col tendu, l'oeil fixe et les bras appuyés
Sur un balcon étroit, papa, maman et fille
    En un mot, tout une famille,
Pour mieux voir, s'élevaient sur la pointe des pieds.
Arrive au rendez-vous, l'amant, le futur gendre,
Que l'on gronde beaucoup de s'être fait attendre.
Il est bon d'observer qui tenait le milieu,
    C'était la fille, et l'amant, par derrière,
Adroitement placé, prépare ainsi son jeu :
    Sur la Dauphine entamant la matière,
Trouvant que sa future est égale en beauté,
Il parle de ses traits et de sa majesté
Et de la dignité de la cérémonie ;
Endort la surveillance et sur leur bonhomie
    Fonde le bonheur de sa vie.

Assuré de son fait, d'un moment aussi cher,
Il parcourt brusquement la place qu'il a prise,
En amant plein de feu qui brûle de cueillir
    Vermeille rose du plaisir,
    Rose d'amour à lui promise...

Il la cueille en effet... et dans le beau moment
Où l'âme en doux soupirs semble s'être échalée*,
Où la belle se pâme involontairement,
Où la nature fait faire un trémoussement
Précurseur de la joie en nos sens concentrée,
Heureuse du bonheur... que lui doit son amant !
- Ah ! maman ! Ah ! maman ! - Quoi donc ? - La belle entrée !


* séparée de son enveloppe
Cité in La poésie érotique (Marcel Béalu, Ed. Seghers, 1974) - p. 204-205