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Petite Puce frétillarde,
Qui, d'une bouchette mignarde,
Suçotez le sang incarnat
Qui colore un sein délicat,
Vous pourrait-on dire friande
Pour désirer telle viande ?
Vraiment nenny : car ce n'est point
La friandise qui vous point :
Et si n'allez à l'aventure,
Pour chercher votre nourriture :
Ainsi pleine de discrétion,
D'une plus sage affection
Vous choisissiez place honorable,
Pour prendre un repas agréable.
Ce repas seulement est pris
Du sang, le siège des esprits.
Car désirant être subtile,
Vive, gaie, prompte et agile,
Vous prenez d'un seul aliment,
Nourriture et enseignement.
On le voit par votre allegresse,
Et vos petits tours de finesse,
Quand vous sautelez dans un sein,
Fuyant la rigueur d'une main.

(...)

Puce, si ma plume était digne,
Je décrirais votre origine,
Et comment le plus grand des Dieux,
Pour la terre, quittant les cieux,
Vous fit naître, comme il me semble,
Orion et vous tout ensemble.
Mais il faudra que tel écrit
Vienne d'un plus gentil esprit.
De moi je veux seulement dire
Vos beautés, et le grand martyre
Que Pan (1) souffrit en vous aimant,
Avant qu'on vit ce changement,
Et que votre face divine
Prit cette couleur ébènine,
Et que vos blancs pieds de Thetis (2)
Fussent si grêles et petits.
Puce, quand vous étiez pucelle
Gentille, sage, douce et belle,
Vous mouvant d'un pied si léger
A sauter et à voltiger,
Que vous eussiez peu d'Atalante (3)
Devancer la course trop lente,
Pan voyant vos perfections,
Sentit un feu d'affections,
Désirant votre mariage.
(...)


(1) Dieu de la nature sauvage et de la fécondité
(2) Nymphe marine aux pieds d'argent
(3) Quand son père souhaitant la marier, Atalante ne voulut prendre pour époux que celui qui pourrait la battre à la course

extrait - in La Puce de Madame Desroches (ed. Jacques de Sourdrai, Paris - 1583)