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IL n'est point de jeux innocents,
Fût-ce même au village ;
Dès qu'on badine avec les sens
La vertu déménage :
J'en ai pour preuve en ce moment
L'histoire de Rosine,
Qui se balançait fréquemment
Dans la forêt voisine.
Colas un jour s'était niché
Tout au haut d'un des chênes
Où Rosine avait attaché
Ses vagabondes chaînes,
Et là mon drôle entrevoyait
Certaines grâces nues
Qu'en s'élevant elle croyait
Ne dévoiler qu'aux nues. —
Amour, dit-il alors tout bas,
J'ai besoin de ton aide ;
Du mal que me font tant d'appas
Donne-moi le remède ;
Pour lorgner tout de mes deux yeux
En vain je fais usage ;
J'en vois trop peu pour être heureux,
Et trop pour rester sage. —
Colas dit, et, l'Amour malin
Rompant la balancoire,
Rosine tombe, et montre en plein
Et l'ébène et l'ivoire.
Du chêne, ardent comme un brasier,
Colas se précipite,
Et met ses doigts sur un rosier
Dont la fraîcheur l'irrite :
N'y met-il que les doigts ? — Hola ;
Il faut de la décence.
Rosine depuis ce jour-là
Jamais ne se balance,
Et quand les filles de ce jeu
Lui rappellent les charmes,
Rosine leur dit avec feu,
Mais non sans quelques larmes : —
Ne croyez pas qu'à la santé
Ce jeu puisse être utile;
Car plus le corps est agité,
Moins le cœur est tranquille :
L'honneur alors est eu suspens,
Et si la corde casse
Ce n'est jamais qu'à nos dépens
Que L'Amour nous ramasse
in Oeuvres choisies - Tome III : Mélanges  (Imp. Brasseur Ainé, 1810)  - p. 64-65