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Nous aurons trop de temps...

Mathieu Montreuil
Nous aurons trop de temps pour amasser des fleurs,
Ménageons ce moment, adorable Sylvie,
Ta jalouse est absente, et ta sœur l’a suivie.
Avant qu’elle revienne, allège mes langueurs.
 
Laisse-là tous ces lys, ces œillets et ces roses,
À quoi voudrais-tu t’amuser ?
Crois-moi, ce sont deux douces choses :
Tromper ta mère, et nous baiser.
 
Ne me laisse pas davantage
À la merci des maux que me donne l’amour,
Je suis dans ce jardin devant le point du jour
Afin de t’attendre au passage.
 
Je sais que si matin je ne t’y verrai pas ;
Mais ce lieu m’est plus doux que le lit où je couche,
Et je ne puis soûler ni mes yeux ni ma bouche
De voir et de baiser la trace de tes pas.
 
En t’attendant ici tout charme mes esprits,
Tout me paraît avoir je ne sais quelle grâce,
Ce petit tapis vert que nous avons fait gris,
Et cette herbe séchée aux lieux où je t’embrasse.
 
Ce fossé qui s’éboule à l’endroit où je passe,
Renouvelle en mon cœur un doux ressouvenir ;
Et ce gazon tombé me plaît mieux qu’en sa place,
Parce que c’est par là que tu dois revenir.
 
Mais que mal à propos mon amour t’entretient !
Sylvie, approche-toi, que je t’en fasse excuse.
Je te pressais tantôt, à présent je m’amuse,
Et je ne songe pas que ta mère revient.
in Stances, madrigaux, lettres de Monsieur de Montreuil - Les Muses oubliées (Tome 4. de la collection publiée de 1921 à 1922 par les Ed. de la Sirène à Paris)