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Marie et Jeanne se parlent

 

Marie :

 

Jeanne, l'on dit de toi chose étrange et nouvelle,
Comment tu te conjoins avec la Frigarelle,
Cette riche et grand'Dame, et qu'elle te le fait,
Ainsi que si c'étoit quelque Mâle en effet,
Qu'elle se va couplant avec toi, tout de même,
(Et si ne sais comment) en un Plaisir extrème.
Ha ! ha ! tu en rougis. Je te prie, dis moi,
S'il est bien vrai cela.

 

Jeanne :

 

Il est vrai par ma Foi,
Et ne me puis garder qu'au Visage de honte,
Tant le Fait est Vilain, la Rougeur ne me monte.

 

Marie :

 

Or de grace, dis moi, et que c'est, et comment,
Se fait entre vous deux ce doux Embrassement.
Que peut faire une Femme à une autre accouplée ?
Ne me tiens, je te pri', telle chose celée.

 

Jeanne :

 

Bien je te le dirai. Cette Dame en sa Face,
En son geste, en son Port, montre qu'elle est Hommace. (1)

 

Marie :

 

Je ne sais que tu dis. Encor' si daventure,
Tu ne voulais parler de l'étrange Nature
De ces Dames de Cour, qui ne se veulent pas
Accoupler avec l'Homme aux amoureux Ebats,
Mais que le seul Plaisir, qui embrase leurs Ames,
N'est si non que se joindre ainsi qu'Hommes aux Femmes.

 

Jeanne :

 

Celle-ci est de même.

 

Marie :

 

Or si tu m'aimes bien
Dis moi, je te suppli', comment, et quel moyen
Elle eut à te gagner de première abordée,
Comment tu t'es ainsi à son Veuil (2) accordée,
Et ce qu'entre vous deux, puis apres se passa.

 

Jeanne :

 

Un soir, que celle-ci un beau Festin dressa,
Ensemble une autre Dame, une sienne Compagne,
Qui non plus qu'elle encor' tel métier ne dédaigne,
Je fus d'elle priée, et voulant échapper
Après avoir passé le temps après souper,
Tant qu'il était bien tard, elle me dit, Mamie,
Demeure avec moi, à coucher, je te prie.

 

Marie :

 

Hé ! donc tu couchas au milieu d'elles deux !
Or' qui t'ont elles fait ?

 

Jeanne :

 

Comme hommes amoureux,
Me baisant doucement, ayant de moittes Languettes,
Et des rouges replis de lèvres tendrelettes,
Les lèvres m'entrouvraient, et mes Tetins pressants,
Allaient mille baisers haletant et suçant,
Mêmes cette autre là, que je sens pâmer d'aise,
Se plaignant des Douceurs, tandis qu'elle me baise.
Lors Frigarelle chaude à son point aspirant,
Et quasi dedans moi toute s'incorporant,
Me serrant, me pressant, et découvrant sa Tête,
Comme un brave Soldat, qui au Combat s'apprête,
Ayant les cheveux courts, me dit d'un doux regard :
- Vis-tu jamais Garçon, si beau, ni si Gaillard ?

 

Marie :

 

Garçon !

 

Jeanne :

 

(toute étonnée). Où, dis-je, est-il, Madame ?
- Donne moi autre nom, et ne me tiens pour Femme,
Me répond elle donc, Car je suis homme aussi,
Et qui suis le Mari de cette Femme ici.
J'en ai ri, lui disant : Hé donc mauvais Homme,
Tu déments en effet le nom dont on te nomme,
Ha ! Paillard, tu as donc ce que les Hommes ont,
Et je n'en savais rien, et fait tout ce qu'ils font
A cette Femme ici ? - Non de vrai, pour le faire,
Je n'ai point ce qu'ils ont, et n'en ai point affaire,
Me répond elle, alors. Mais tu verras comment,
Je donne et prend plus de Contentement,
Que quelque homme qui soit. - Serais tu daventure,
Lui dis je, Hermaphrodite, ayant double Nature ?
- Non, dit-elle, vraiment, plutôt homme Formel.
-T'est-t'il, dis je, advenu un changement tout tel,
Qu'à une qu'on m'a dit, qui Femme naturelle
Un homme après devint ? - Ha non, (ha) non, dit elle.
Sachez que je suis Femme, et que je n'ai en moi,
Rien qui soit différent des Femmes comme toi,
Mais j'ai entièrement tout le Désir d'un homme ;
- Le desir, dis je donc, te suffit-il en somme ?
- Ne bouge, me dit elle, et tu le connaîtras.
Je fais ce qu'elle dit. Lors, elle, entre mes Bras,
Pantoisant (3) et soufflant, semblait qu'en moi ravie,
Elle dut rendre l'âme, et l'esprit, et la Vie.
Depuis elle m'aimant, et m'en priant toujours,
Et m'ayant fait présents, témoins de son Amour,
Elle goûte un Plaisir, que nul autre n'égale,
Et je l'embrasse aussi, tout ainsi comme un Mâle.
Encor n'est ce pas tout.

 

Marie :

 

Que fait elle ? Mais quoi !
Comment se fait cela ? Je te pri', Dis le moi.

 

Jeanne :

 

Tu me presses par trop, et m'étourdis la Tête.
Je n'en dirai plus mot. Cela n'est point honnête.

 

 

(1) femme qui a la voix et les manières d'un homme
(2) à son vouloir, à sa volonté
(3) haletant
in Registre-Journal du règne de Henri III - Éd. Madeleine Lazard & Gilbert Schrenck (Genève, Droz, 2001)