à Félix Labisse
Je compte sur mes yeux un et deux dira-t-elle
Pour voir ce que doit voir l'affalée que je suis
Couchée et nue et chaude au pied du haut miroir
Et mouillée comme un nouveau-né je me pourlèche
Je compte sur mes doigts un deux trois dira-t-elle
La multiplication de mes soupirs profonds
Le sac de mes désirs s'entrouvre sur le lit
Et j'ai le plein soleil dedans avec mon rouge
Je compte sur mon sexe et mes fesses pour tendre
Un piège au plus prudent et à la plus prudente
J'ai du goût pour chacun mais je me tiens en moi
Tapie comme l'alcool dans la main d'un ivrogne
Mes aspects sont variés j'ai des poils j'ai des plumes
Et l'écorce d'un arbre augmente ma peau brune
J'ai de la terre au creux de ma faim je me love
Comme un fleuve sans eau où les baigneurs se noient
Mes talents sont nombreux je sais signer la bête
Et m'alléger d'aurore tout comme une alouette
Je sais faire pleurer les plus indifférents
Et rire bêtement ceux qui se croient malins
J'ai des griffes des crocs j'ai des lèvres d'écaille
Et des lèvres de soie et de miel et de glu
Pour enrober l'azur et sa salive fade
Ma langue sur les bords de la chair se dévoue
Je caresse mes fruits débordants de science
Qui donc pourrai régner hors de mon cœur total
Je sais tout et j'apprends à oublier je tresse
Une énorme couronne à mon ventre à mon sang.
Je compte sur mes yeux un et deux dira-t-elle
Pour voir ce que doit voir l'affalée que je suis
Couchée et nue et chaude au pied du haut miroir
Et mouillée comme un nouveau-né je me pourlèche
Je compte sur mes doigts un deux trois dira-t-elle
La multiplication de mes soupirs profonds
Le sac de mes désirs s'entrouvre sur le lit
Et j'ai le plein soleil dedans avec mon rouge
Je compte sur mon sexe et mes fesses pour tendre
Un piège au plus prudent et à la plus prudente
J'ai du goût pour chacun mais je me tiens en moi
Tapie comme l'alcool dans la main d'un ivrogne
Mes aspects sont variés j'ai des poils j'ai des plumes
Et l'écorce d'un arbre augmente ma peau brune
J'ai de la terre au creux de ma faim je me love
Comme un fleuve sans eau où les baigneurs se noient
Mes talents sont nombreux je sais signer la bête
Et m'alléger d'aurore tout comme une alouette
Je sais faire pleurer les plus indifférents
Et rire bêtement ceux qui se croient malins
J'ai des griffes des crocs j'ai des lèvres d'écaille
Et des lèvres de soie et de miel et de glu
Pour enrober l'azur et sa salive fade
Ma langue sur les bords de la chair se dévoue
Je caresse mes fruits débordants de science
Qui donc pourrai régner hors de mon cœur total
Je sais tout et j'apprends à oublier je tresse
Une énorme couronne à mon ventre à mon sang.
© Paul Eluard
in Voir (1948)
in Voir (1948)