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La fille du sultan aime sa favorite,
L'esclave aux cheveux courts, la pâle Moscovite.
Et comme elle est jalouse elle la fait garder,
Dans la salle aux jets d'eau par les hommes fardés
Et cruels à qui seuls les adolescents plaisent.
Elle rit trop souvent avec les sœurs Maltaises
Celle aux roses, celle qui porte un attirail
De talismans et celle à l'anneau de corail…

La fille du sultan dévêt la Moscovite,
Et puis, à se baigner près d'elle elle l'invite,
Ouvrant ses bras nus menus au milieu du bassin.
Alors elle l'enlace et sur leurs yeux, leurs seins
À toutes deux, le jet d'eau verse un ruisseau rouge,
Une petite pluie en fleurs qui frôle et bouge.

Des trois sœurs aux yeux noirs que l'on vient d'égorger
Il ne reste plus rien que ce jet d'eau léger.
Et dans les marbres bleus il danse, tourne et saigne
Sur les corps frémissants des femmes qui s'étreignent…
Dans le grand escalier l'homme au sabre descend…
Trois corps dans un grand sac… Quelques taches de sang…
Et parmi les coussins où traîne une odeur fade,
Les roses, le corail, les talismans de jade…
© Maurice Magre
in La montée aux enfers (Ed. E. Fasquelle, 1918)