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- extraits -

 

Je regardais prier la jeune fille en deuil
Debout, et ses deux mains s'appuyant à la chaise.
Les piliers jaillissaient au ciel avec orgueil,
Les vitraux éclataient de bijoux et de braises.

On sentait la ferveur ardente de l'esprit
Dans l'élan de son corps et la pudeur des voiles,
Les chaires s'éployaient dans le choeur assombri
Où se cristallisaient les lampes en étoiles.

Et soudain sur l'autel un visage apparut,
Fendant le tabernacle  en forme de losange,
Et je connus, à voir ses yeux mats et fendus,
Que c'était là Satan, le plus triste des anges.

La chapelle s'emplit d'étranges Chérubins,
Un pli pervers au coin de leurs bouches trop roses,
Hors du vieux bénitier, comme l'on sort d'un bain
Un démon noir et nu jaillit, tenant des roses. ,

La jeune fille ouvrait ses bras en frémissant.
Des confessionnaux, des chàsses polychromes,
Des êtres surgissaient, bronzés et languissants,
Luxueusement sortaient des formes d'hommes,

(...)

Puis ce fut un fourmillement plein de fureur,
De vagues dieux grossiers des temps cosmogonique
D'une animalité sans forme et sans couleur,
De signes primitifs, de pierres priapiques

Et les verrières en flambant firent pleuvoir.
Des étoiles et des soleils d'Apocalypse,
Et sous les voûtes ruisselantes, je crus voir
La jeune fille nue en des clartés d'éclipse...

Les bouches la buvaient et les bras la pressaient,
Vers son corps déferlaient des fleuves de caresses,
Des océans d'amour entre ses seins passaient,
Elle était tous les dieux et toutes les déesses...

Plus rien. Un angelus d'une tour a glissé
La basilique en feu s'eteint comme une torche
La jeune fille en deuil s'en va, les yeux baissés,
Et son voile noir m'effleure sous le porche…

© Maurice Magre
in La montée aux enfers (Ed. E. Fasquelle, 1918)