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La première nuit au couvent

Maurice Magre

Dans sa cellule s'éveilla la carmélite.
Elle tâta d'abord sa tête aux cheveux courts
Se souvint du froid des ciseaux, de l'eau bénite
Et du bruit du portail fermant ses battants lourds.
 
Sa chemise grossière abîmait de brûlures
Son corps pur. Toute moite elle avait des frissons.
L'ombre du Christ faisait une caricature...
Elle entendit des voix derrière la cloison...
 
Et c'étaient les voix de désir, les cris, les plaintes,
Le doux frémissement de la chair sur les draps
Et les gémissements de deux femmes étreintes
Qui ne font plus qu'un corps par la chaîne des bras.
Des pas furtifs glissaient dans le couloir immense.
Elle entr'ouvrit la porte et vit courir ses sœurs
Et toutes relevaient leur robe avec aisance
Et découvraient leurs jambes longues sans pudeur.

Quelque chose d'étrange était dans leur allure;
Un rire fou les secouait, faisant saillir
Des seins inattendus et des croupes impures
Sur ces corps qui semblaient de rêve seul fleurir.
 
Viens avec nous ! lui dirent-elles. Leurs mains chaudes
L'entraînèrent. Dehors l'escalier solennel
Et le cloître d'argent sous la lune émeraude
Avaient l'air d'un décor fantastique et cruel...
 
Avec des ventres gros et des faces lubriques
Des moines à travers les piliers ont surgi,
Saisissant par les reins les nonnes impudiques,
Les renversant, les culbutant avec des cris.
 
Et les cloches soudain dans les tours retentirent,
Sonnant une danse burlesque, un galop fou,
Et parmi les appels hystériques, les rires,
Les poitrines cognaient et claquaient les genoux.
La novice fuyait avec sa robe ouverte,
Mais de partout, des mains sortaient, la pétrissant,
La roulant sur les dalles froides, l'herbe verte,
Meurtrissant son corps nu d'étreintes jusqu'au sang.

Les grands saints alignés sous les arceaux gothiques
Soulevaient leur robe de pierre en ricanant,
Ou, gardant sur leur socle une pose extatique,
Étaient à son passage horriblement vivants.
 
Elle courut à la chapelle. Là des vierges
Étalaient sur les croix leur corps crucifié.
Elles riaient dans le clignotement des cierges…
Un prêtre officiait en dansant sur un pied…
 
À cheval sur un grand balai, la supérieure
Conduisait une farandole dans le chœur,
Et des soupirs, des bruits d'amour, des voix qui pleurent
Venaient des coins obscurs dans des parfums de fleurs.
 
Et brisée, elle vit, par la porte des cryptes,
Un adolescent nu, mince et brun émerger,
Portant un croissant d'or et des bijoux d'Egypte
Ayant le torse creux et le buste léger.
Sa chair était de bronze, un triple cercle en jade
Faisait sur son front mat comme un glauque bandeau.
Il marchait lentement parmi les colonnades
Et la fixait de loin avec des yeux vert d'eau.

« Satan, je suis à toi, cria-t-elle, je râle
De plaisir à te voir et tords pour toi mes reins.
Voici toute ma chair offerte sur ces dalles.
Prends-moi sous cette châsse, à l'ombre du lutrin. »
 
Elle éclatait comme une rose près d'éclore
Et lui la laboura d'un long baiser savant...
« O Satan ! O seigneur! » C'était déjà l'aurore...
— Telle fut la première nuit dans le couvent...

 

© Maurice Magre
in La montée aux enfers (Ed. E. Fasquelle, 1918)