Hier la chair profonde, hier, la chair maîtresse
M'a trahie... Oh! sans rêve, et sans une caresse !...
Nul démon, nul parfum ne m'offrit le péril
D'imaginaires bras mourant au col viril ;
Ni, par le Cygne-Dieu, de plumes offensée
Sa brûlante blancheur n'effleura ma pensée...
Il eût connu pourtant le plus tendre des nids !
Car toute à la faveur de mes membres unis,
Vierge, je fus dans l'ombre une adorable offrande...
Mais le sommeil s'éprit d'une douceur si grande,
Et nouée à moi-même au creux de mes cheveux,
J'ai mollement perdu mon empire nerveux.
Au milieu de mes bras, je me suis faite une autre...
Qui s'aliène?... Qui s'envole?... Qui se vautre?...
A quel détour caché, mon coeur s'est-il fondu?
Quelle conque a redit le nom que j'ai perdu?
Le sais-je, quel reflux traître m'a retirée
De mon extrémité pure et prématurée,
Et m'a repris le sens de mon vaste soupir?
Comme l'oiseau se pose, il fallut m'assoupir.
Ce fut l'heure, peut-être, où la devineresse
Intérieure s'use et se désintéresse :
Elle n'est plus la même... Une profonde enfant
Des degrés inconnus vainement se défend,
Et redemande au loin ses mains abandonnées.
Il faut céder aux voeux des mortes couronnées
Et prendre pour visage un souffle...
Doucement, Me voici : mon front toucbe à ce consentement...
Ce corps, je lui pardonne, et je goûte à la cendre.
Je me remets entière au bonheur de descendre,
Ouverte aux noirs témoins, les bras suppliciés,
Entre des mots sans fin, sans moi, balbutiés.
Dors, ma sagesse, dors. Forme-toi cette absence;
Retourne dans le germe et la sombre innocence,
Abandonne-toi vive aux serpents, aux trésors.
Dors toujours! Descends, dors toujours! Descends, dors, dors!
(La porte basse c'est une bague... où la gaze
Passe... Tout meurt, tout rit dans la gorge qui jase...
L'oiseau boit sur ta boucbe et tu ne peux le voir...
Viens plus bas, parle bas... Le noir n'est pas si noir...)
Délicieux linceuls, mon désordre tiède,
Couche où je me répands, m'interroge et me cède,
(...)
Harmonieuse MOI, différente d'un songe,
Femme flexible et ferme aux silences suivis
D'actes purs!... Front limpide, et par ondes ravis,
Si loin que le vent vague et velu les achève
Longs brins légers qu'au large un vol mêle et soulève,
Dites!... J'étais l'égale et l'épouse du jour,
Seul support souriant que je formais d'amour
À la toute-puissante altitude adorée...
Quel éclat sur mes cils aveuglément dorée,
Ô paupières qu'opprime une nuit de trésor,
Je priais à tâtons dans vos ténèbres d'or !
Poreuse á l'éternel qui me semblait m'enclore,
Je m'offrais dans mon fruit de velours qu'il dévore;
Rien ne me murmurait qu'un désir de mourir
Dans cette blonde pulpe au soleil pût mûrir :
Mon amère saveur ne m'était point venue.
Je ne sacrifiais que mon épaule nue
À la lumière; et sur cette gorge de miel,
Dont la tendre naissance accomplissait le ciel,
Se venait assoupir la figure du monde.
Puis, dans le dieu brillant, captive vagabonde,
Je m'ébranlais brûlante et foulais le sol plein,
Liant et déliant mes ombres sous le lin.
Heureuse! A la hauteut de tant de gerbes belles,
Qui laissait à ma robe obéir les ombelles,
Dans les abaissements de leur frêle fierté
Et si, contre le fil de cette liberté,
Si la robe s'arrache à la rebelle ronce,
L'arc de mon brusque corps s'accuse et me prononce,
Nu sous le voile enflé de vivantes couleurs
Que dispute ma race aux longs liens de fleurs !
(...)
M'a trahie... Oh! sans rêve, et sans une caresse !...
Nul démon, nul parfum ne m'offrit le péril
D'imaginaires bras mourant au col viril ;
Ni, par le Cygne-Dieu, de plumes offensée
Sa brûlante blancheur n'effleura ma pensée...
Il eût connu pourtant le plus tendre des nids !
Car toute à la faveur de mes membres unis,
Vierge, je fus dans l'ombre une adorable offrande...
Mais le sommeil s'éprit d'une douceur si grande,
Et nouée à moi-même au creux de mes cheveux,
J'ai mollement perdu mon empire nerveux.
Au milieu de mes bras, je me suis faite une autre...
Qui s'aliène?... Qui s'envole?... Qui se vautre?...
A quel détour caché, mon coeur s'est-il fondu?
Quelle conque a redit le nom que j'ai perdu?
Le sais-je, quel reflux traître m'a retirée
De mon extrémité pure et prématurée,
Et m'a repris le sens de mon vaste soupir?
Comme l'oiseau se pose, il fallut m'assoupir.
Ce fut l'heure, peut-être, où la devineresse
Intérieure s'use et se désintéresse :
Elle n'est plus la même... Une profonde enfant
Des degrés inconnus vainement se défend,
Et redemande au loin ses mains abandonnées.
Il faut céder aux voeux des mortes couronnées
Et prendre pour visage un souffle...
Doucement, Me voici : mon front toucbe à ce consentement...
Ce corps, je lui pardonne, et je goûte à la cendre.
Je me remets entière au bonheur de descendre,
Ouverte aux noirs témoins, les bras suppliciés,
Entre des mots sans fin, sans moi, balbutiés.
Dors, ma sagesse, dors. Forme-toi cette absence;
Retourne dans le germe et la sombre innocence,
Abandonne-toi vive aux serpents, aux trésors.
Dors toujours! Descends, dors toujours! Descends, dors, dors!
(La porte basse c'est une bague... où la gaze
Passe... Tout meurt, tout rit dans la gorge qui jase...
L'oiseau boit sur ta boucbe et tu ne peux le voir...
Viens plus bas, parle bas... Le noir n'est pas si noir...)
Délicieux linceuls, mon désordre tiède,
Couche où je me répands, m'interroge et me cède,
(...)
Harmonieuse MOI, différente d'un songe,
Femme flexible et ferme aux silences suivis
D'actes purs!... Front limpide, et par ondes ravis,
Si loin que le vent vague et velu les achève
Longs brins légers qu'au large un vol mêle et soulève,
Dites!... J'étais l'égale et l'épouse du jour,
Seul support souriant que je formais d'amour
À la toute-puissante altitude adorée...
Quel éclat sur mes cils aveuglément dorée,
Ô paupières qu'opprime une nuit de trésor,
Je priais à tâtons dans vos ténèbres d'or !
Poreuse á l'éternel qui me semblait m'enclore,
Je m'offrais dans mon fruit de velours qu'il dévore;
Rien ne me murmurait qu'un désir de mourir
Dans cette blonde pulpe au soleil pût mûrir :
Mon amère saveur ne m'était point venue.
Je ne sacrifiais que mon épaule nue
À la lumière; et sur cette gorge de miel,
Dont la tendre naissance accomplissait le ciel,
Se venait assoupir la figure du monde.
Puis, dans le dieu brillant, captive vagabonde,
Je m'ébranlais brûlante et foulais le sol plein,
Liant et déliant mes ombres sous le lin.
Heureuse! A la hauteut de tant de gerbes belles,
Qui laissait à ma robe obéir les ombelles,
Dans les abaissements de leur frêle fierté
Et si, contre le fil de cette liberté,
Si la robe s'arrache à la rebelle ronce,
L'arc de mon brusque corps s'accuse et me prononce,
Nu sous le voile enflé de vivantes couleurs
Que dispute ma race aux longs liens de fleurs !
(...)
© Paul Valéry
Extraits de La Jeune Parque, Aurore (1917)
Extraits de La Jeune Parque, Aurore (1917)