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Qu'est-ce que la poésie ?

Pour trouver ce qui, fondamentalement, caractérise la poésie, ce sans quoi il n’y a pas de poésie possible, il faut distinguer 4 capacités qui organisent l’humain. Distinguer ces capacités ne doit pas conduire à les opposer, mais à pouvoir les appliquer les unes aux autres, à les mettre en relation, tout en les considérant comme bien différentes. (Méthodologie issue de l’outil d’analyse anthropologique dit de « médiation », développé dans les années 1990-2000 par Jean Gagnepain, Université Rennes II)

 

1. La poésie nécessite avant tout du LANGAGE. Le langage est une conception logique, organisant des sons et du sens, de l’ordre du message, relative à des objets. Il y a là la possibilité du savoir, c’est-à-dire de la science (rendre la pensée conforme au monde) et du mythe (rendre le monde conforme à la pensée). La poésie, elle, ne vise ni l’un ni l’autre en particulier, elle reste d’abord du langage pour lui-même, et plus précisément un langage où le choix des sonorités et du rythme prime sur le choix du sens (scientifique ou mythique), ce dernier ne s’imposant que dans un cadre musical.

Dit autrement, la « perfection » poétique est donc sans doute de réussir à donner du sens, en musique ; c’est-à-dire, non seulement sans sacrifier à la musicalité des vers, mais encore en contraignant le sens à rentrer dans un cadre sonore et rythmique déterminé, quel qu'il soit. On comprendra ici la parenté étroite entre mathématique, composition de la musique et poésie.

 
2. Pour inscrire la poésie dans le concret, il faut soit utiliser directement notre corps, par la PAROLE : articuler, vocaliser, chanter, rapper, slamer..., soit par le biais d'un outil, pour l’ÉCRITURE : burin-tablette, stylo-papier, clavier-écran... Il s’agit là d’une fabrication technique, de l’ordre de l’ouvrage, relative à des trajets. C’est ici qu’on peut parler d’art (du grec τέχνη / tékhnê).

 

3. Pour transmettre aux autres la signification d’un poème, il faut se conformer à des codes particuliers : les LANGUES, qui varient géographiquement et historiquement et se distribuent en de nombreux rapports sociétaux (langue maternelle, officielle, académique, populaire, patois, argot...). Il s’agit là d’une institution ethnique, de l’ordre de l’usage, relative à des sujets.

 

Ce qui peut ici retenir plus particulièrement notre attention, c’est que : si la traduction reste possible en littérature, sans trop dénaturer l’original ; un poème, lui, ne peut se traduire qu’en devenant, soit de la littérature (si l’on sacrifie le travail sur le rythme et les sons, au profit du sens précis de chaque mot ou vers), soit un autre poème (si l’on recrée un rythme et des jeux sonores à partir d’une traduction qui tente de respecter le sens du texte original). Ajoutons que nous pouvons écouter les paroles de chansons, et même les chanter en « yaourt », sans en comprendre le sens usuel. Le rythme et les sonorités dans le phrasé musical sont suffisants pour que nous en appréhendions… quoi ? Et bien la poésie, justement. 

 

Une conséquence est qu’on défendra l’idée que : « La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie ; elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche. » (Léo Ferré) ou dit autrement : « La poésie c’est le chant. Elle se moque de l’œil la poésie. » (René Étiemble).

 

Donc, lorsqu’il s’agit de compter le nombre de pieds d’un vers, faut-il prendre en compte les syllabes entendues (logique sonore) ou le rendu visuel écrit (qui fait appel à des règles d’usages propre à chaque langue) ? Si, comme on le comprend, l’usage n’est sans doute pas le mètre en poésie, alors celle-ci peut bien aussi se moquer de la règle qui veut que la rime féminine soit muette, usage qui pose la question suivante : s’agit-il de réduire les femmes au silence ? Un autre usage consisterait à « jeter des fléchettes dans le cul de l’Académie », comme Bernard Lavilliers y invite dans son album Les poètes (1972).

 

4. Il est donc, enfin, un quatrième ingrédient : le DISCOURS, le vouloir dire. Il semble que l’expression « poétique » renvoie à quelque chose de cet ordre quand nous l’employons, à tord et à travers… Car, lorsqu’il s’agit de définir précisément ce qu’il faut entendre par-là, il est question d’une atmosphère ou d’une profondeur, d’une rêverie merveilleuse ou mystérieuse, de la magie de l'émotion ou de la beautée, d'une inspiration divine, surnaturelle ou que sais-je encore. Rien qui nous renseigne sur la logique musicale propre à la poésie (1), mais plutôt sur les affects (implicites ou explicites) du poète et/ou de son lectorat-auditoire. Il s’agit là d’une valorisation esthétique, de l’ordre du suffrage, relative à des projets
 
Souhaitant laisser chaque personne libre de son discours érotique, on comprendra que la ligne éditoriale s’en tient à demander un travail sur les sonorités et les rythmes.

 

Et pour conclure, on remarquera les échos sonores des mots surlignés ici en gras ;-)