Partager |

Les beautés de Claudine

Guillaume Colletet
Dans ce vivant tableau de vos perfections
Contemplez le portrait de mes affections ;
Et voyant, ma Claudine, à quel point je vous aime,
Agréez les transports de mon amour extrême.
Qui ne serait ravi de l'or de ces cheveux
Qui sont de mon soleil les rayons lumineux,
Qui de ma liberté sont les chaînes visibles
Qui portent mes amours sur leurs ondes paisibles,
Et qui sont en effet dans leurs crêpes unis
Uniques en beauté, comme en nombre infinis ?
Qui n'aimerait ce front, où d'une belle audace
L'honneur, la majesté, se disputent la place ?
Où règnent l'un et l'autre, où d'un décret fatal
Ils possèdent ensemble un trône de christal ;
Où d'un trait aussi doux que la glace en est pure,
Amour grave les lois que prescrit la nature,
Lors que pour conserver quelque brasier secret
Elle dit qu'en brûlant, il faut être discret.
Qui ne serait charmé de ces nobles planettes
Dont les traits sont si vifs, et les flammes si nettes,
De ces deux beaux soleils du ciel de la beauté
Qui répandent la joie avec la clarté,
De ces anges muets dont j'entends le langage,
De ces visibles dieux à qui je rends hommage,
Et qui par leurs éclairs me forcent d'avouer
Qu'on ne les peut assez ni craindre, ni louer ?
Qui ne serait épris de ces lèvres jumelles
Qui versent le parfum de deux roses nouvelles,
Et qui pour confirmer leurs fidèles amours
Se cajollent sans cesse, et se baisent toujours ?
Qui ne prononcent rien que de sacrés oracles
Dont la nature accroît le nombre des miracles,
Et qui par des discours qu'un bel art fait fleurir
Ressuscitent les coeurs, que les yeux font mourir ?
Mais dieux ! Qui n'aimerait d'une ardeur idolâtre
Cette plaine de lait, ces collines d'albâtre,
Cette neige qui brûle et qui fond les amants,
Ces globes animés d'éternels mouvements,
Qui s'approchent de nous aussitôt qu'ils soupirent,
Qui de peur d'être pris aussitôt se retirent ;
Qui se montrant aux yeux, et se cachant aux mains.
Font naître cent désirs, et mourir cent desseins ?
Subtile trame d'or, vive table d'ivoire,
Trésors étincelants de lumière et de gloire ;
Trône, où la grace même établit son séjour,
Verger qui produisez les doux fruits de l'amour,
En un mot, beaux cheveux, beau front, et belle bouche,
Beaux yeux, et vous beau sein, si jamais je vous touche,
Si je puis quelque jour, pour contenter mes voeux,
Voir autour de mes bras un cercle de vos noeuds,
Lire sur ce cristal ma fortune suprême,
Et ces mots enflâmés, Cérilas je vous aime,
Obtenir pour mes vers un propice regard,
Consulter dans ces bois votre oracle à l'écart,
Et baiser à souhait vos pommes savoureuses,
Les délices du goût des âmes amoureuses ;
Ô que j'envirai peu cette riche toison
Dont amour fit le prix des travaux de Jason !
J'effacerai l'honneur du beau berger de Troie (1)
Qu'Helene fit nager dans un fleuve de joie ; 
Et laissant Atalante (2) exalter son trésor,
J'irai dans un beau sein cueillir des pommes d'or.
Ainsi dit Cérilas, et son puissant langage
Sut si bien de Claudine amollir le courage,
Que l'amour à la fin, pour ces deux nobles coeurs,
Eut moins dans ses vergers d'épines que de fleurs.

 

(1) référence au mythe de la pomme de la Discorde et à la guerre de Troie qui fut déclarée lorsque Pâris enlève Hélène, la femme du roi de Sparte.
(2) Son père souhaitant la marier, Atalante ne voulut prendre pour époux que celui qui pourrait la battre à la course ; Hippomène, aidé d'Aphrodite, laissa tomber trois pommes d'or dans sa course ; curieuse, la jeune fille s'arrêta pour les ramasser et fut ainsi devancée à l'arrivée.
1652 -  in Poésies Diverses de Mr Colletet contenant des sujets héroïques, des passions amoureuses et d'autres matières burlesques et enjouées (Ed. L. Chamhoudry - 1656)