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L'après-midi du Faune

Maurice Magre

Imprudente, tu vas sous l'épaisseur des branches,
Dans le parc merveilleux par l'automne doré,
Sans savoir qu'à l'odeur, que laisse ta chair blanche,
Moi, le monstre velu te suis dans les fourrés.

À plat ventre, enfonçant mon sexe dans les herbes,
J'ai scruté bien souvent sous le tissu léger
Tes deux jambes en fleurs, vigoureuses, superbes,
Et ta grâce de vierge ignorant le danger.

Et ta nubilité précieuse et vivante,
Cette pudeur sentant le duvet et la peau,
Se confondait pour moi aux odeurs enivrantes
Des vieux buis, des genévriers et des sureaux.

Or, l'automne en chaleur décompose, les feuilles,
Du feu, sort en vapeurs de l'humus craquelé,
Les marronniers brûlants en gouttes d'or s'effeuillent,
Et, je danse en pensant à ton corps violé.

Je pourrais tout à coup te tirer par la tresse,
Et te faire tomber d'un geste, sur le dos.
J'étoufferais tes cris, de ma forte caresse,
T'immobiliserais du poids de mon fardeau.

Non, je veux te forcer comme on force une bête,
Te faire revenir à l'animalité
Par la peur, te montrant, subitement ma tête
Affreuse, et mon corps nu de désir dévasté.

À la course! Pour fuir tu lèveras ta robe,
Mon souffle d'animal te chauffera les reins.
Les arbousiers avec l'oeil rouge de leur globe
En passant de leur suc, t'humecteront les seins.

Tu heurteras les troncs, glisseras sur les gommes,
La ronce, à chaque pas, te déshabillera,
Plus fortes que les fleurs, des odeurs mâles d'hommes,
En effluves épais entoureront tes pas :

Tu fuiras jusqu'aux lieux où le parc est sauvage,
Où la racine à vif perce le sol en rut,
Où le pourrissement des bois et des feuillages
Fait un lit séminal aux grands arbres membrus.

Je te culbuterai parmi les fondrières,
Je te déchirerai, je te ravagerai,
Je te ferai sentir tout l'amour de la terre
Dans un élan que rien ne pourra modérer.

Et dans le rythme immense où tu seras plongée,
Tu percevras, tes mains fouillant le terreau noir,
Le baiser des fourmis, l'amour des scarabées,
Des étreintes de mandibule et de suçoir.

Et tu sauras combien est beau le crépuscule,
En sentant sous ton dos broyé par mon poitrail,
Des insectes amants, les couples minuscules
Et tout le grouillement de la terre en travail.

Et, boueuse et sanglante, au sein de la nature,
Tu renieras l'orgueil de ta virginité
Dans ce lit de la vie et de la pourriture
Dont j'aurai fait jaillir l'éternelle beauté.

 

© Maurice Magre
in La montée aux enfers (Ed. E. Fasquelle, 1918)