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Nous sommes au matin même du jour où Phryné doit être jugée. - Selon les conseils de Mélissa, elle a passé la nuit avec sont avocat Hyppéride et lui a offert ce que la plus belle fille du monde peut donner à son amant dans des circonstances à peu près analogues.

(...)

Hyppéride lui répond :

" O Phryné, ne crains rien. - Autrefois dans Athènes,
Pour être un orateur éloquent, Démosthènes
Se promenait au bord de la mer en courroux,
Et là, parmi les vents, en suçant des cailloux,
Jetait aux flots hurleurs une longue harangue.
Or, toi, tu m'as donné pour délier ma langue
Mieux que de vils cailloux, les pointes de tes seins,
Cailloux roses, cailloux fleuris, où par essaims
Se posent les baisers des lèvres butineuses.
Et durant cette nuit, mes caresses glaneuses
Ayant glané le long de ton corps savoureux
Une blonde moisson de souvenirs heureux,
Pour te défendre j'ai, dans leur toute-puissance
Les arguments d'amour et de reconnaissance :
Mon plaidoyer sera la gloire de ton corps.
Ainsi que les piliers harmonieux et forts
Des blancs portiques, tes jambes de chasseresse
En soutiendront l'architecture, ma Maîtresse,
Et, pour le rehausser, j'enchâsserai dedans
Les gemmes de tes yeux, les perles de tes dents.
J'aurai pour ordonner le nombre de la phrase
Le rythme de tes seins affolés dans l'extase
Et que le doux repos vient apaiser soudain.
Et, surtout, j'ai cueilli dans ton secret jardin,
Mieux que dans les traités d'éloquence publique
La fleur qui fait fleurir les fleurs de rhétorique."
© Maurice Donnay

Extrait du cinquième tableau de Phryné, scènes grecques représentées au théâtre d'ombres du Chat noir le 14 janvier 1891.

in Autour du Chat Noir (Ed. Grasset, 1926 - p.129)